Elle est là cette vallée qui se découvre entre deux combes, pleines du tressaillement des buissons épineux, des pensées de la fin jour et des pas de ce petit gars qui avance. Il s’appelle Renaud, Badin ou Lambert. C’est un gars vacher, un galvacher morvandiau, rentrant chez lui. La tête vidée et le corps déjà tourné vers la danse. Voici une façon de scénario tracé à la va-vite, qu’évoqueraient les neuf pistes de ce disque. Neuf récits sans parole, où la musique renvoie à l’enracinement, à une métaphysique du corps, et, in fine, à la sensation. Aucune candeur dans ce disque. Tout commencement est un futur accomplissement.
Elle vient de loin, la musique des Space Galvachers (en Français, prononcer « gailvaicheurz »). Du blues, par exemple. D’un blues libre, d’un blues qui hulule, comme dans la troisième piste, titrée Renaud. Ou de l’une de ses formes anciennes, dépouillées, vivaces, sensitives, brutes, et complexes mais avant tout dansantes. Un de ces formes nées des terres où on sait la polka, la gigue et le rigodon, des terres où le mouvement n’est ni repli ni défense, des terres d’Afrique, de la Caraïbes, et désormais de l’hexagone français. Space Galvachers, soit Clément janinet au violon, Clément Petit au violoncelle et Benjamin Flament aux percussions, inventent aujourd’hui leurs propres Folk Songs, chansons sans chants où la mélancolie finit toujours par céder du terrain à la danse, frénétique ou élégante. Pour ce second disque, le trio revisite ses origines bourguignonnes en explorant le patrimoine oral des chansons traditionnelles du Morvan, vieux massif tutélaire et assis sur le centre populaire de la région Bourgogne-Franche-Comté. Les chants sont passé à la loupe, revisités comme on revisite des standards de Jazz. Avec la part collective de la mémoire humaine, avec l’envie d’inventer ce qui s’est perdu entre-temps, avec ce qu’on saura sauver de ce qui reste. Et, la part commune est une des force des Space Galvachers. Plus qu’un trio, c’est un petit collectif où chacun est musicien-compositeur, et tous sont regroupés autour d’une même culture de l’improvisation, et d’une vision populaire de la musique.
Cette vision, cela fait plus de dix ans que Clément Janinet, Clément Petit et Benjamin Flament la façonnent à la main, de palabres en concerts, de mondes refaits en sessions de répétitions. Ces trois instrumentistes se croisent dans des projets se baladant de la musique improvisée aux musiques traditionnelles (Radiation 10, Le Banquet, Ze Jam Afan, Ray Lema, Duo Flament-Janinet, Richard Bona, Olivier Araste, Rido Bayonne, Simon Winse). Chacun s’engage très tôt dans une démarche personnelle pour développer un son et un jeu singulier sur son instrument respectif, travaille à augmenter ses techniques de jeu, à réfléchir à de nouvelles techniques instrumentales inédites, qu’ils mélangent ensemble à la « préparation » des instruments (pinces, pâte à modeler, aluminium), à un traitement sonore électro-acoustique. Ainsi, Benjamin Flament pousse l’expérience jusqu’à se fabriquer un instrument percussif artisanal fait de métaux de récupération, retravaillés et agencés de façon personnelle. Space Galvachers naît alors, spontanément, de ce travail obstiné sur le son et l’improvisation. Ce trio à la patte légère et grave est fait de réminiscences.
Réminiscences de tout ce qui a nourri les trois larrons en foire ou au moulin. La culture orale, les musiques et récits populaires qu’ils chérissent, la pop synthétique nipponne (jolis échos sur la Montagne Noire), le baroque insolent, les harmolodies d’un jazz plus électrique. Citons en bonus nécessaires, le pédigrée de Clément Janinet féru des musiques rurales et urbaines issues de multiples régions du monde (Nord-Est brésilien, Nord du Burkina Faso, Cameroun et Congo-Brazzaville, étendues berbères du Maroc et d’Algérie), travaillant son violon comme d’autres les grands écarts avec une énergie brute, posé entre le dansé et la pensée, ballottée aux côtés d’Etienne Mbappe, de Didier Lockwood, de Ricardo Del Fra, de Sylvain Rifflet, de Mark Turner ou encore de Richard Bona, d’Adama Drame et de Cheick Tidiane Seck. Citons la finesse absolue du jeu de violoncelliste de Clément Petit, dont la curiosité n’est pas le moindre défaut, polie en compagnie de Blick Bassy, Naissam Jalal, Régis Huby, Claude Tchamitchian, au sein d’Asynchrone et de Roseaux, au contact de Fidel Fourneyron, de Giovanni Mirabassi, de Joce Mienniel, de Sylvain Cathala, de Pierrejean Gaucher, du Collectif Coax dont sont issus les deux autres Galvachers. Inlfuences multiples pour un jeu unique, ouvert sur l’autre et prêt à en découdre, forgé lors de collaboration avec des artistes de tous horizons comme Melissa Laveau, Oumou Sangare, Angélique Kidjo, Aloe Blacc, Lo’Jo, Lova Lova ou encore Salif Keita. Citons enfin les frasques frappées de Benjamin Flament, artisan metallo du trio, parfait connaisseur des choses percussives, amateur entêté du son exact, idée fixe ficelée auprès de Fantazio, de ses groupes Radiation 10, Farmers, Cluster Table, et bien entendu MeTal-O-Phone, auprès de musiciens comme Sylvain Rifflet, Joce Mienniel, Michel Portal, Han Bennink ou encore Thomas de Pourquery. Plus récemment, il créé la compagnie Green lab et anime un lieu exploratoire et fédérateur en Nièvre, La Grange de l’Oiseau Bleu. Rural, une fois de plus.
Rurale, la langue de Space Galvachers l’est tout à fait. Mais loin, bien loin d’être rustre. Après les lames de fond boom boom sur litanies sbam glam du disque précédent, les trois garcons vachers testent les jonctions du cosmos et de la danse herbue, d’un chassé-croisé psyché, dont la force émotive se fait au grand jour, cadencée avec une sincérité nette. Tout est pesé, assemblé avec l’amour des choses bien faites et propulsé avec des sourires franco de port. Les Space cowboys bourguignons dégoupillent à peine patients sur les préliminaires, Frères Lambert, à l’aise sur l’actualisation des territoires, magnifique Danse des Gorets, sans peur face à l’ombre qui danse avec toute vie, Hululeurs vêtus de clair-obscur. Violon lyrique au possible, gongs à l’étouffée, zébrures nerveuses au violoncelle. Dans ces danses, faites de chronique et d’hypnose, il y a les longs sanglots des violons d’automne et cette furieuse envie que l’été indien ne se barre jamais trop vite.